


Leo Lionni
Sophie Chérer. Extrait de L’Album des Albums, l’école des loisirs, 1997 :
LAISSEZ COLLER LES P’TITS PAPIERS
Etre l'auteur d'un livre marquant, d'un livre inoubliable, du premier livre aimé par un enfant... Tel est le rêve de beaucoup d'écrivains, de presque tous les dessinateurs. Leo Lionni l'a réalisé. On peut mettre au défi quiconque de se promener dans une école maternelle de France, de Navarre et du reste du monde sans tomber sur des dessins, des peintures et des collages inspirés par Petit-Bleu et Petit-Jaune ». Cette histoire d'amitié exemplaire, toute simple, faite avec rien ( un rond bleu, un rond jaune, et une poignée d'autres formes ) est d'emblée devenue une référence et un classique.
Leo Lionni est né en 1910 à Amsterdam, d'un père tailleur de diamants et d'une mère soprano. Rien d'étonnant à ce que ses œuvres ressemblent à des pierres précieuses et à des airs d'opéra. Emigré aux Etats-Unis en 1939, naturalisé américain, il devient directeur artistique d'une grande agence de publicité (il est le premier à y faire travailler des artistes, Calder, De Kooning, Fernand Léger) puis du magazine « Fortune ». Installé en Italie depuis une trentaine d'années, il est venu tard, et par hasard, aux livres pour enfants. Mais c'est là que se sont épanouies ses qualités de fabuliste.
La technique de Lionni est à la fois rudimentaire et très raffinée : des papiers collés, qui représentent un mur, des rochers, des souris, des poissons, le fond de la mer, des arbres ... mais ces papiers sont marbrés, rehaussés de couleurs, soigneusement découpés ou déchirés, toujours chatoyants et mis en page avec humour.
Une autre des spécialités malicieuses de Leo Lionni est de retourner, sans la moindre agressivité mais de façon extrêmement efficace, la « morale » de quelques histoires célèbres : Pierre Desproges, et quelques autres, avaient réglé leur compte, en leur temps, à certaines fables de La Fontaine. Mais il restait à tordre le cou à « La Cigale et la Fourmi », la plus outrageante pour tous les amoureux des arts et de la vie. C'est chose faite grâce à Leo Lionni et à son « Frédéric ». Frédéric est une souris qui ne fiche rien tandis que les autres amassent des provisions pour l'hiver prochain. Mais après la bise vient l'ennui contre lequel noisettes et grains de blé sont impuissants. Alors Frédéric déballe ses richesses à lui : du soleil, des couleurs et des mots, dont il se montre éperdument généreux, puisqu'il est poète... Le récit biblique du Jardin d'Eden et de sa malédiction est lui aussi revisité par Leo Lionni : « Au Jardin des lapins », le serpent tentateur se révèle un précieux allié et le vieux lapin en chef compréhensif finit par partager la pomme avec les désobéissants.
Il arrive même à Leo Lionni, comme à tous les sages, de se montrer visionnaire : en 1989, « Tillie et le mur » fut la plus jolie et prémonitoire illustration de la chute du mur de Berlin.